Mon pied… de nez.

Cette semaine, en même temps que 200+ fanas de la dive bouteille, j’étais invitée à une dégustation de vins italiens au Marché Bonsecours de Montréal. Et j’y suis allée, même si j’apprécie peu le bon vin. Oh, j’arrive à deviner qu’il s’agit d’un grand cru, je soupçonne la complexité envahissant mes papilles, mais les arômes se refusent à moi. Voici pourquoi.

Je tiens d’abord à préciser que je ne suis pas médecin. Je suis simplement une rédactrice culinaire qui, voilà 10 ans, a perdu presque complètement l’odorat, un trouble sensoriel qu’on appelle l’anosmie. Mais tout a commencé bien avant, quand j’avais 20, 30 ans, et que je bossais comme une dingue à coup de 50 heures semaine. Une fois par année, à la veille des vacances d’été, je me permettais enfin de relaxer et kaboom ! Les virus s’infiltraient dans l’espace laissé vacant par le stress et je me tapais une misérable infection respiratoire.

Les premiers signes inquiétants sont survenus durant un voyage en France. Comme toujours pendant les vacances, j’étais sérieusement grippée— à tel point que, durant une visite au musée des parfums de Grasse, je ne sentais absolument rien au beau milieu des touristes carrément étourdis par les effluves. Ma copine de voyage en avait même mal à la tête. Je n’ai pas complètement perdu le goût, allez comprendre, que l’odorat… à l’exception des vapeurs de diesel qui me foutaient la nausée. Et, en Europe, Dieu sait qu’on échappe pas au diesel.

Trois ans plus tard, ma mère est décédée d’un arrêt cardiaque, une mort soudaine qui m’a atterrée. Pour fuir la solitude et l’absence de ce premier Noël sans elle, je me suis enfuie en France. Dans les jours précédant mon départ, mon corps m’a lâché comme à l’habitude. Ignorant les avis du médecin, folle de tristesse, j’ai pris l’avion pour Paris malade comme un chien. À l’atterrissage, j’avais perdu l’ouïe et l’odorat. Je n’entendais pas les sirènes des voitures de police filant sur l’autoroute. Et je ne goûtais rien de la poule au pot au menu d’un grand resto de la Ville lumière.

Merci la SAMU, quelques jours plus tard, j’ai enfin retrouvé l’ouïe et une partie de mon odorat. Et je me disais qu’avec un peu de repos, mon odorat se rétablirait bien, durant ou après les vacances. Triste erreur. J’avais perdu, peut-être pour de bon, la capacité de humer la vie et j’allais en découvrir le prix.

Saviez-vous? On dit que 2% de la population souffre d’une perte d’odorat, souvent due à la vieillesse. Tout comme la vision et l’ouïe, l’odorat baisse avec l’âge. La perte d’odorat peut présenter de graves dangers, par exemple : difficile de sentir si un aliment est gâté, si une conduite de gaz est percée ou même si un incendie couve dans la maison. Tout changement à l’odorat peut aussi provoquer des troubles digestifs puisque ce sont les arômes qui nous font saliver et produire les sucs digestifs dont notre estomac a besoin pour assimiler les aliments et bâtir notre système immunitaire…

Perdre mon odorat a longtemps été un handicap. J’étais incapable de dire si la couche de mon fils était pleine, si le chat avait uriné dans sa litière, si les poubelles empestaient la maison, si la bouffe brûlait sur la cuisinière ou si mon désodorisant avait, hum, perdu son efficacité. On aurait dit que je vivais dans une bulle.

Je devinais les odeurs environnantes, mes narines se tendaient pour saisir les arômes que je ne parvenais plus à identifier. Perdre son odorat, c’est perdre un pan de vie. Comme dirait Proust, les odeurs et notre mémoire sont intimement liées. Le parfum délicat des lilas flottant sur la brise te rappelle ton premier, tendre baiser. La chaude moiteur de l’écurie réveille le souvenir des matins passés dans le foin, à dormir collée sur ton cheval (oui, enfant, j’avais un cheval). La tarte aux pommes cuisant dans le four te rappelle soudain le rire d’une maman aujourd’hui disparue. Sans odorat, on perd cet accès direct, immédiat et combien précieux aux souvenirs qui sont la trame de toute une vie, de ses plaisirs et de ses peines aussi.

Sans odorat, je n’ai jamais connu la douceur d’enfoncer mon nez dans le cou de mon poupon pour respirer son odeur de bébé. Un deuil à faire et à pleurer pour la nouvelle maman que j’étais.

Pourquoi? Et pourquoi moi?

L’odorat peut se perdre pour plusieurs raisons, par exemple suite à un accident à la tête, à cause d’une tumeur ou, en ce qui me concerne, des infections à répétition. Mon épithélium olfactif — une petite «éponge» de la grosseur d’un timbre située en haut du nez — se serait asséché et n’arrivait plus à percevoir ou à identifier les odeurs pour ensuite transmettre l’information à mon cerveau.

Les docteurs m’ont prescrit une cure de vitamine K, de vaporisateurs nasaux et de médicaments qui ont rafistolé mon odorat, temporairement. Durant une courte période, j’ai recommencé à sentir de façon si vivide même que j’en avais le mal de cœur. Et puis, dès le premier rhume de cerveau, ce fut le retour à l’anormal. On m’a bien suggéré de refaire le traitement mais combien de temps avant la prochaine grippe? Il y avait aussi les effets secondaires à considérer. À cause de la médication, je faisais tellement de rétention d’eau que mes mains enflaient, mon visage était rond comme un ballon et je souffrais d’une faim dévorante et purement physiologique 24/7.

En tant que rédactrice culinaire, le fait de perdre une partie de mon odorat pose tout un défi professionnel. Le goût et l’odorat sont si interdépendants que, selon les experts, jusqu’à 90 % des sensations que nous attribuons au goût sont en fait des arômes qui viennent chatouiller nos narines. Je goûte encore, mais imparfaitement. Je ressens les ingrédients, seulement parfois je confonds thym et romarin. En d’autres mots, aucune chance que je change de profession pour me faire critique de restaurant, au-delà de dire si j’ai aimé ma soirée oui ou non. Mon nez ne donne pas dans la subtilité. Cela dit, je n’ai pas eu de sérieuse grippe depuis deux ans et, touchons du bois, mon odorat montre des signes de rétablissement. Je ne serai jamais un grand chef mais, oui, je peux enfin humer les lilas plantés par pure obstination voilà déjà six ans…

Ce qui me ramène au Salon des vins italiens. J’y ai adoré le Moscato d’Asti (je pouvais tellement en goûter le sucre) et les tannins d’un Barolo 2005 m’ont carrément asséché la bouche. Tous faisaient l’éloge d’un Giglio, cépage sauvage de la Sicile si délicat que je le goûtais à peine. J’y ai aussi rencontré un producteur de vins bios qui ressemblait à un bon grand-papa et qui peinait à trouver un distributeur canadien. Pas si facile, m’a-t-il confié d’un haussement d’épaules, e’ la vita.

Voici donc quelques photos de ce premier Salon. Je vous épargne les notes de dégustation…

100 producers, 2 ballrooms, 200 or more attendants: this is a serious salon. When you register, a wine glass is provided for you to taste and keep. Basically, you walk up to any table, choose a wine and chat with the producer. Then you clean your glass by pouring in water, swirling it around, and throwing it into a waiting bucket. Clean glass in hand, you move to the next nectar. For obvious reasons, this was my first tasting salon. I was impressed.


Parmesan wheel and whole prosciutto sliced to order: the usual suspects provided by one of Montreal’s best caterers, Denise Cornellier.

 

Moscato d’Asti, a lovely $23 dessert wine available by importation only, which means you probably have to buy a case of it. Presumably not one of the stars of the show, but hey, what I can say: Talk to the nose.

 

Partager

, , , , , , ,

Pas encore de commentaires.

Laisser un commentaire