Blogueurs, controverse et bibi

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J’ai donné, fin 2013, une entrevue au magazine HRI au sujet des demandes de gratuité que font certains blogueurs aux restaurateurs québécois. Bien que ma position soit on ne peut plus explicite, elle appartient à un propos plus large et plus nuancé. Comme je bénéficie ici de toute la place publique voulue pour moduler, permettez que je (re)précise ma pensée.

Commençons par 2 extraits

«Les blogueurs, ces nouveaux venus dans la restauration et l’hôtellerie, ne sont ni journalistes ni critiques, et leur rôle semble flou. Alors devant les demandes de gratuité de certains, restaurateurs et hôteliers restent perplexes… Que faire ?»

«La blogueuse Lynne Faubert est catégorique. « Ceux qui demandent des gratuités sont de mauvais blogueurs ; ce sont les pique-assiette de la communauté des blogueurs et c’est très mal vu. Les restaurateurs devraient refuser toute demande d’un blogueur sans même aller vérifier sa réputation. Un refus n’entraînera pas de conséquences puisque, forcément, ces blogueurs ne comptent pas de nombreux abonnés (followers) ni un lectorat qui justifie que le restaurant s’inquiète. En général, ces blogueurs ne durent pas très longtemps. »

Le fameux back-story

Lors de l’entrevue, une controverse venait juste d’éclater alors qu’une blogueuse de Philadelphie s’était fait prendre les culottes à terre à réclamer un repas gratos au Réveillon de Noël pour son amazing famille en échange d’un billet dithyrambique (voir ici pour un article en anglais exposant la dame et le courriel; en passant, la personne a survécu et son blogue existe toujours, misère). Un restaurateur ulcéré avait choisi d’ébruiter le courriel et d’exposer dite blogueuse au ridicule qu’elle cherchait si avidement. De cette anecdote est née ma prise de position lors de l’entrevue, soit:

T’es restaurateur et un blogueur t’offre de t’écrire un super billet garanti 100% positif en échange d’un repas gratuit? Euh, run, man/woman, run. Parce qu’un jour, un autre restaurateur va pogner les nerfs et exposer ce même blogueur sur la place publique. Si le billet te concernant est vieux de 2 ans, hourra, t’auras sûrement fait le millage recherché avec. Mais si le billet vient d’être mis en ligne 2 semaines plus tôt, ce qu’on entend là, c’est le bruit de tes propres culottes qui flirtent avec la chaussée.

J’ai déjà vu des blogues (que je ne nommerai pas puisque ce serait faire leur publicité) qui, en page d’accueil, avisent les restaurants intéressés qu’ils se feraient un plaisir de parler de leur restaurant «sur invitation». Ce sont, eux, en fait, les fameux pique-assiettes que je dénonçais dans l’article du HRI, ces «fauxblicists» comme on les appelle en anglais, qui semblent avoir créé leur blogue strictement dans le but de se faire payer la traite.

Plutôt, lors de l’entrevue, je recommandais aux restos d’organiser une soirée dégustation, pour présenter un nouveau menu par exemple, formule plus coûteuse, on ne se le cachera pas, mais qui a l’avantage d’être au-dessus de tout soupçon. Et qui d’ailleurs a la cote par les temps qui courent. Les blogueurs sont invités, peuvent en jaser ou non, positivement ou non, rien de caché à la chose. Ce sont des RP, ni plus ni moins, l’équivalent du fameux «Frais de voyage payés par Cie Untel» qui accompagne nombre d’articles sur la bouffe, la mode, la beauté ou le cinéma que l’on trouve dans les meilleurs magazines et quotidiens en mal de moyens.

Petit détour éditorial

Comme chroniqueuse magazine avec son blogue personnel, je reçois plein d’invitations et de produits, provenant de restaurants, d’hôtels ou de manufacturiers qui veulent que je jase ici de leurs bébés. J’assiste à quelques lancements de resto par année (maman 450, ma vie sociale ressemble plus à boulot-métro-dodo), je cuisine souvent avec la toute dernière huile d’olive et ma bibli craque sous le poids des livres de cuisine juste reçus. À l’instar de plein de blogueurs vétérans, j’indique toujours qu’il s’agit d’une invitation ou d’une gratuité. D’ailleurs, certains blogueurs ont même un bouton «Politique éditoriale» sur leur site, c’est toujours bon signe. (Oui, bon, le mien s’en vient lors de la refonte graphique de ce blogue, qui n’est pas pour demain par contre, puisque ça coûte cher en ta.)

Cela dit, sans vouloir s’apitoyer sur le pôvre blogueur, la plupart sont des Monsieurs-Madames-Tout-le-Monde qui ont des moyens somme toute limités et à qui le blogue tient lieu de loisir autant que de tribune. Pas facile d’emmener une famille de 4 au musée, aux pommes, à la cabane à sucre et tutti quanti, à chaque dimanche par surcroît, pour nourrir un blogue sur la vie de famille, par exemple. Et si, par conséquent, tu ne blogues qu’à l’occasion, difficile de se créer un lectorat fidèle. Or, qui dit lectorat fidèle, dit publicités, dit blogue autofinancé. Vous me direz, ben, pourquoi vouloir autofinancer ses loisirs? Parce que ça autofinance les contenus que vous appréciez et qui n’existeraient pas, ou de façon plus que sporadique, sinon. Ça ressemble drôlement à cette formule qui faisait verdir mes profs d’université: Publier ou périr…

catch22

Pour le reste, nous vivons une époque charnière, belle évidence. Les journaux traditionnels meurent un à un, les gourmands se tournent vers Yelp pour choisir un resto et les blogueurs sont sollicités au même titre que les journalistes. C’est une méchante courbe d’apprentissage pour tous et la mouvance actuelle permet peu de poser des balises. Avec 6000 restaurants dans le seul Grand Montréal, allez savoir comment retombera la poussière.

N.B. En passant, j’ai déjà, lors d’une précédente controverse, écrit ici un billet d’humeur sur l’éthique des blogueurs. Ça tient encore comme propos.

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