Gran Cocina Latina

Préambule: Une critique écourtée de ce livre a été soumise au site Food52 dans le cadre de son concours «Community Picks». Voici la critique gagnante qui a été publiée (en anglais).

Montréal où je vis est tout sauf une mecca de bouffe latina. Nos étés sont trop courts pour y cultiver les piments chilis, alors qu’avocat, tomatillo et cie nous arrivent avec une empreinte carbone taille sasquatch. Bien que le maïs compte parmi les cultures les plus importantes au Canada, je ne connais aucun producteur local de masa harina.

Jusqu’à tout récemment, trouver un restaurant latino qui s’aventure au-delà du tex-mex édulcoré s’avérait un méchant défi. Et pourtant, mon profil de goût est tout ce qu’il y a de plus latin(o). Je suis accro à la coriandre, je préfère mon citron vert et je ne comprends pas qu’on trouve des jalapenos partout, mais pas des serranos (allo?!?). Quant à Monsieur, il ajoute des chilis dans tout, au point de se frotter le coco à la Louis Armstrong pour cause de transpiration excessive. C’est pas bon si ça fait pas mal hein?

Alors, je ne pouvais résister à l’omnibus de 900 pages Gran Cocina Latina: The Food of Latin America de Maricel A. Presilla, même si j’appréhendais déjà la recherche d’ingrédients introuvables. Oui, on peut toujours substituer ici et là mais, soyons honnête, chaque petit travers aussi nécessaire soit-il t’éloigne d’un goût précis. Je ne compte d’ailleurs plus les bouteilles de sauces asiatiques achetées à la recherche du Parfait Sauté. Et je remercie les dieux de ne pas lire le mandarin, sinon je pourrais être détournée de ma quête par la liste d’ingrédients.

En feuilletant le livre de Presilla, j’étais donc reconnaissante que l’explosion d’immigration latine a suscité l’ouverture de quelques épiceries, sinon plusieurs des recettes seraient hors de portée. (Je n’ai jamais cuisiné les recettes de Oaxaca al gusto, l’admirable tome de Diana Kennedy, mais est-ce vraiment le but de son auteure?) En d’autres mots, vous risquez de partir régulièrement à la chasse de fécule de yucca ou de hoja santa.

Provenant de tous les coins et recoins de l’Amérique latine, les 500+ recettes présentées par Presilla sont divisées en 20 chapitres axés autour d’un ingrédient ou plat iconique, permettant de suivre à la trace la gestalt de l’empanada ou du cebiche d’un pays à l’autre. Le gigantesque index — j’avoue que je trippe immodérément sur les index de livres de recettes — s’avère ici essentiel.

J’affectionne plus particulièrement l’approche de l’auteur, qui met en scène la plupart de ses recettes grâce à une anecdote ou une présentation très fouillée de leur histoire. Presilla propose même souvent une boisson pour accompagner les plats, à siroter en lisant par exemple comment elle a découvert les Surullitos de Maiz dans ce pittoresque petit village de pêcheur de Puerto Rico. Montrez-moi un foodie qui ne dévore pas les livres de tourisme culinaire…

La majeure partie de Gran Cocina Latina ressemble à ces 2 pages de recettes sans photo. Le livre me rappelle d’ailleurs l’incontournable «Essentials of classic Italian cooking» de Marcella Hazan (qui n’a même pas une photo). Donc, si vous avez besoin d’une photo du plat pour avoir envie de le cuisiner, mieux vaut passer votre tour.

 

Pour mettre les recettes à l’épreuve, j’ai laissé carte blanche à Monsieur et Fiston, mes deux difficiles professionnels qui savent faire tourner la sauce d’une moue suspecte à tous coups. Je rêvais d’essayer le Crabe sauté aux algues et aux œufs brouillés, ou les Calmars farcis au quinoa et au rappini, tous deux du Pérou, allez savoir. Mes cobayes se sont arrêtés aux quelques maigres photos illustrant le livre et ont choisi les Plantains verts frits et la Soupe de haricots noirs de la Havane. Quelle surprise. J’ai tenu mon bout et ajouté la Casserole de morue salée et de pomme de terre à la brésilienne, avec ses six petits ingrédients.

(Par souci d’honnêteté, précisons que Monsieur a aussi demandé la Feijoada brésilienne, un ragoût qui exige deux jours de préparation et nourrit une douzaine d’invités. Cause toujours.)

L’auteur, dans l’une de ses introductions de section muy étoffées, nous apprend que les femmes sud-américaines préparent souvent les repas assises à la table plutôt que debout au comptoir de cuisine. Pas étonnant si on considère les étapes assez longuettes qui rendent d’ailleurs impossibles les improvisations de soir de semaine. Je m’assoirais aussi. Cela dit, la cuisine présentée ici tient plus de la bouffe maison que du menu de restaurant. Elle exige un investissement en temps, oui, mais s’avère facile à exécuter. Notons que les temps de préparation ne sont pas indiqués, ahem.

Au final, les plantains frits étaient vite faits, vite dévorés. La soupe, qui requiert de rôtir des poivrons, de bouillir des haricots et de confectionner un sofrito séparément, valait l’effort et débordait de saveur authentique. Je l’ai d’ailleurs cuisinée deux fois depuis, même si Fiston a finalement décidé que de la «soupe noire», c’est pouache. La morue salée a manqué le coche, mais à peine. Trente-six heures à la faire dessaler dans l’eau et le lait n’auront pas suffi à réduire l’excès de sel, mais le goût était orgasmique. Monsieur en a gémi (je ne vous ai jamais dit ça).

Si vous êtes prêts à vous investir en temps, à courir les épiceries latines ou à commander sur Internet, et que vous n’avez pas besoin d’une présentation une-photo-par-recette (je sais que j’en ai personnellement marre quand ça tient de la formule), alors Gran Cocina Latina est le genre de livre de recettes qu’on peut passer une vie à explorer. La voix chaleureuse de son auteur, l’approche quasi encyclopédique et l’orgie de recettes séduisent de la table de cuisine à la table de chevet. Eh oui, je lis des livres de recettes au lit!

collagerecettes

Maintenant, à votre tour de cuisiner! Pour vous mettre en appétit, voici les deux recettes du livre que j’ai testées, donc cliquez pour les popoter:

Soupe de haricots noirs style Havane

Casserole de morue salée et de pommes de terre

Buen provecho!

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