De l’éthique des blogueurs

gordon-ramsay

Ce billet d’opinion suit la controverse qui a suivi le lancement très couru du nouveau restaurant de Montréal piloté par Gordon Ramsay.

Je suis secrétaire du C.A. de l’Association canadienne de la presse gastronomique et hôtelière. Et des discussions à savoir si l’Association doit ou non accueillir les blogueurs dans ses rangs, nous en avons à chaque rencontre. L’absence de code de déontologie chez les blogueurs soustend beaucoup cette hésitation.

C’est vrai : les blogueurs font du média social et non du journalisme. N’importe qui peut s’improviser blogueur, le succès ou non de l’ambition étant dicté par le sérieux de l’auteur, la pertinence ou l’impertinence de son propos, mais avant tout le désir d’une partie de la population de le suivre — ce dernier élément et rien d’autre faisant de lui ce fameux «influenceur» que de nombreuses entreprises cherchent à se gagner.

Je suis aussi blogueuse, il se trouve, quoique ce soit pour moi un passe-temps, un espace que je me donne pour faire des culbutes gourmandes et rédactionnelles qui me divertissent. Je publie sporadiquement par manque de temps et assiste à très peu d’événements bien que je sois hyper sollicitée. (En passant, je refuse généralement à cause des impératifs de la vie de famille et non de la déontologie.) J’indique toujours dans mon texte quand je suis invitée, mais suite à la présente réflexion, je l’indiquerai encore plus clairement à l’avenir, façon note en bas de page, c’est toujours ça de bon.

Dans ma double fonction, je côtoie donc beaucoup de blogueurs et, vous serez peut-être surpris d’apprendre, les conversations tournent souvent, là aussi, autour de leur rôle, l’éthique à suivre, etc. À part les quelques exceptions qui recherchent la controverse, une constatation: nombreux sont les blogueurs qui hésitent à être négatifs dans leurs billets, de peur, on ne se le cachera pas, d’arrêter d’être sollicités et invités. C’est souvent ici que les attend la pelure de banane de l’intégrité.

Ceux que je connais et respecte se sont, pour plusieurs, donné une ligne de conduite simple: s’ils n’aiment pas, ils n’en parlent pas. Vous saurez les restos qu’ils ont appréciés, rarement ceux qu’ils ont détestés. Ils twitteront un événement comme ils twittent l’air du temps, mais aucun billet ne suivra dans leur blogue, indice révélateur.

Malheureusement, cette politique de conduite personnelle peut donner au lecteur l’impression, erronée, que le blogueur aime tout ce qu’on lui propose, endosse tous les produits qui lui sont envoyés et plogue à qui mieux mieux, sans filtre et sans conscience. C’est embryonnaire comme «code», c’est fragile et tâtonnant, du bon vieux cas par cas assurément… Et, oui, cela s’avère aussi faillible et diablement insaisissable. Il y a autant de codes de conduite qu’il y a de blogueurs, ceux-ci exerçant leur droit d’opinion et non une profession. Et la Toile accueille son bon nombre de cons à la recherche d’une tribune, l’équivalent triple w des lignes ouvertes à la radio, évitons de laver plus blanc que blanc.

Cela dit, c’est aussi la job du lecteur actuel qui suit le blogueur de faire la part des choses, de savoir qu’il lit un blogue d’opinion et non un journal; n’allons pas négliger son intelligence non plus. Nous nous regardons le nombril de façon fort salutaire, mais Madame Tout le monde est-elle aussi démunie qu’on l’imagine ? Et, si oui, est-elle mieux munie face à un texte dans le journal ? Combien de fois aie-je lu un rectificatif de Foglia qui sentait le besoin d’expliquer qu’il avait fait du sarcasme m’sieurs dames…

Dans la mouvance actuelle, nous sommes tous — journalistes, blogueurs, lecteurs, médias — à (ré)inventer notre contexte et notre rôle. Personne, ni journalistes, ni blogueurs, ne possède LA réponse pour la simple raison qu’Internet chamboule tout au jour le jour.

Au pays de la chasse gardée et de la pierre lancée, ben tiens, j’ai soudain faim d’un dialogue journaliste-blogueur. Malgré le terrain miné.

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Note: Aux fins de divulgation complète (!), précisons que j’étais invitée au lancement du Laurier Gordon Ramsay, mais que j’ai rebroussé chemin devant la file et la cohue. Les files, j’ai déjà trop donné durant ma période rock ‘n roll. Papa, fiston et moi sommes plutôt allés manger chez Rôtisserie St-Hubert finalement. J’avoue, pas jet set pour deux sous, la fille. Cela dit, je retournerai au Laurier, qui a bercé mon adolescence outremontoise. Les attentes sont élevées.

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12 Responses to De l’éthique des blogueurs

  1. Bobby Grégoire 11 août 2011 à 1:20 #

    Binjour Lynne,

    C’est ici un point de vue fort bien expliqué. Étant moi aussi dans l’ACPGH, j’avoue y être rentré comme membre associé comme conférencier, président de Slow Food Montréal et bloggeur.

    Le métier de journaliste est en plein révolution avec la multiplication des médias et leur démocratisation. Les bloggeurs sont de plus en plus invités dans les lancements de presse et autres événements médiatiques. C’est une nouvelle réalité à laquelle il faudra s’adapter.

    Personnellement, je ne crois pas que l’ACPGH doivent inclure des bloggeurs sauf s’il adhèrent et respecte un code d’éthique professionnel tel qu’il est attendu par la profession de journaliste.

    Cordialement,

    Bobby Grégoire
    Membre associé de l’ACPGH

    • Lynne 11 août 2011 à 2:51 #

      @Bobby Grégoire Mais comment les blogueurs peuvent-ils se donner un code de déontologie, vu les divers chemins qui mènent à un blogue? Et faire la part des choses sinon, allo le subjectivisme… J’avoue, pas plus brillante que mon prochain, je n’ai pas la réponse facile à mes propres questionnements.

  2. Valérie 11 août 2011 à 2:28 #

    Moi aussi cette question d’éthique et de médias sociaux vient me chercher – le billet de la journaliste Nathalie Collard n’est pas le premier qui fait référence à cette question essentielle. Je suis un peu tannée que certains journalistes aient la critique facile pour les blogueurs, mais heureuse que le questionnement permet enfin à tout le monde, journalistes inclus, de se questionner sur l’éthique. Vu cette récente situation pour les blogueurs, dont je fais partie, d’avoir le privilège de recevoir des invitations et/ou des commandites, je pense que nous serons de plus en plus enclin à préciser nos intentions et une politique éthique claire sur nos sites qui, soyons honnêtes, n’ont pour la plupart pas du tout été mis en ligne pour en arriver là! La très grande majorité des blogueurs que je côtoie ont commencer à écrire par passion pour un ou des sujets, parce qu’ils aimaient tout simplement écrire, et non parce qu’ils voulaient recevoir des offres. Ça reste notre rôle, en tant que lecteurs, de s’interroger sur l’endroit et l’auteur d’où proviennent les informations et les opinions.

    À la limite, même une mention claire d’éthique sur un blogue n’est pas suffisante; une invitation ou une commandite doit à mon avis être également mentionnée dans chaque article rédigé par souci de transparence. Ce qui m’agace, lorsque l’on critique trop facilement les blogueurs, c’est que depuis que je reçois des offres de produits gratuits, par exemple, je remarque souvent simultanément la présence de ces mêmes produits dans les magazines de cuisine du mois, dans une section «nous avons aimé» (ou qqch de genre), avec évidemment aucune mention qu’il s’agit d’un produit reçu gratuitement dans leur bureau pour en faire la promotion. Je suis dans l’impossibilité de départager, en tant que lectrice, les véritables coups de coeur et les «coups de marketing». J’en conclue que je ne suis définitivement pas la seule à devoir me poser des questions éthiques, et je me questionne de plus en plus sur la «transparence» de ce qu’on me présente dans les journaux et les magazines… Ce n’est pas parce qu’on écrit de façon objective que l’on a un propos objectif.

    • Lynne 11 août 2011 à 2:54 #

      @Valérie Tes soupçons sont probablement très près de la vérité. Pour avoir fait des RP dans une vie antérieure (!), j’ai vu de mes yeux vu assez d’accommodements entre mon agence et le journaliste ou sa publication/station de télévision pour être désabusée. Mais ça, c’est une boîte de Pandore…

  3. Bobby Grégoire 11 août 2011 à 3:41 #

    @ Lynne,
    Je n’ai jamais dit qu’il y a une réponse facile. Je comprends tout à fait la difficulté de demander un code déontologique à des blogueurs.
    Comme tu le mentionnes si bien, tous ne viennent pas au blogue par les mêmes chemins ou pour les mêmes raisons. Tous n’y consacrent pas autant de sérieux et de temps à la démarche.
    Cependant, des codes déontologiques pour blogueurs, il en existe! Je t’encourage à lire par exemple celui-ci http://foodethics.wordpress.com/the-code/ qui est proposé par des blogueurs ayant participé à de nombreux débats sur le sujet. Évidemment, il n’est pas parfait, mais c’est un exemple.
    L’éthique change souvent d’une personne à l’autre. Personnellement, cela fait quelques mois que je me pose plusieurs questions au sujet de l’éthique de blogueur. Je n’ai pas non plus de réponses faciles.
    Cependant, dans le cadre de l’ACPGH, je crois qu’il y a des débats à faire pour actualiser un peu les « journalistes » reconnus comme membres actifs, des principes à êtres édictés et un code de conduite suggéré.

    @Valérie
    En effet, des fois, c’est du côté des journalistes que l’éthique semble faire défaut. J’ai également observé plusieurs éléments curieux du genre dans un passé récent.
    Pour ce qui est de l’éthique de blogueur, c’est l’expérience, les débats et le temps qui amèneront des réponses. Tout privilège, par nos statuts, devrait être affirmé de façon transparente selon moi, comme tous avis nécessairement biaisés également!

    Bobby

    • Lynne 11 août 2011 à 5:48 #

      @Bobby Merci pour le lien, je promets d’en faire lecture. Cela dit, je ne voulais pas lancer un débat sur l’ACPGH, loin de là, c’était plutôt une mise en situation sommaire pour expliquer que cet univers double me fait côtoyer à la fois les journalistes et les blogueurs, donc me sensibilise aux deux prises de position…

  4. Antoine 11 août 2011 à 9:45 #

    Je m’invite dans la conversation. Je suis blogueur et membre associé de l’ACPGH. Je pense qu’une association du genre ACPGH serait bénéfique dans le milieu du blogue. Une association qui aurait un code déontologique bien défini et dont les membres pourraient afficher leur appartenance avec un logo sur leurs sites, un peu du genre de logo pour la bouffe bio ou équitable. Une espèce de sceau d’honnêteté éditoriale.

    Le flou existe bel et bien : plusieurs personnes que je suis sur Twitter travaillent pour des agences de marketing, et ce n’est pas toujours clair si leurs interventions, tant sur leurs blogues que sur Twitter sont faites en tant qu’individu ou d’employés.

    • Lynne 12 août 2011 à 9:54 #

      @Antoine. Salut et, surtout, invite-toi quand tu veux, Antoine, ça fait plaisir 🙂 J’avoue que, comme je l’écrivais, je blogue comme passe-temps, à l’instar de la plupart des blogueurs d’ailleurs. Je ne participe à presqu’aucun événement du type PodCast, journée InfoPresse, etc. — juste pas le temps en tant que maman. Donc je serais bien incapable de dire si certains regroupements de blogueurs ne font pas déjà une partie de ce travail ? Sinon, on aurait peut-être besoin d’un GO, lol.

      Cela dit, sur une autre tribune aujourd’hui, je lisais quelques blogueurs qui refusent d’emblée qu’on «régisse» un truc qu’ils font pour le plaisir et qu’ils ne ressentent aucunement le besoin de justifier, voire même défendre. Ce débat, ils n’en ont rien à cirer et je les comprends très bien. Pourquoi vouloir donner des balises, qui deviennent souvent des contraintes, à quelque chose qu’ils font par passion et qui ne leur apporte aucun revenu ? Je soupçonne qu’il y aura autant de positions que de blogueurs face à la question. De toute évidence, la réflexion ne fait vraiment que commencer. À suivre ?

  5. mamanbooh 12 août 2011 à 5:39 #

    Je blogue par besoin d’expression et de survie depuis un peu plus que 2 ans. Je suis du milieu de l’éducation et j’écris sur mon quotidien de maman et je reçois aussi des offres, des demandes d’échanges et des produits.

    Mais, cela ce fait à une petite échelle. Lors de l’ouverture du Laurier, en suivant sur twitter et autres médias, j’ai réalisé qu’il y avait un grand fossé (pour ne pas dire une guerre) entre les journalistes et ceux des coms.

    Je suis contente et j’apprécie que des personnes comme toi, Gina Desjardins, Marie-Julie Gagnon, Marie-Claude Lortie, etc… Prennent la parole. Ça m’aide à me retrouver et à comprendre ce qui se passe dans la cour des grands.

    Merci Julie Philippon/Mamanbooh

    • Lynne 12 août 2011 à 8:54 #

      Merci ! Cela dit, j’espère que ce n’est pas une guerre, loin de là 🙂 Un malaise, assurément, un gros questionnement, aussi. Mais la question dépasse les individus, qu’ils soient journalistes ou blogueurs. C’est toute la question de l’accès à, et la diffusion de, l’information qui nous impose de grandes remises en question.

      Quand on cherche à savoir si un resto est bon, vers qui se tourne-t-on ? Marie-Claude Lortie, Robert Beauchemin, Lesley Chesterman, Gildas Meneu (pour ne nommer que quelques-uns des critiques que j’admire beaucoup, en passant). Son blogueur préféré, qui n’a comme seul code de déontologie, que son intégrité, sa passion et son goût (excluant ici les blogueurs qui se vendent au plus offrant et, oui, il y en a, allez les identifier par contre). Ou même à un site web comme Chow.com où les échanges sont souvent pertinents, mais parfois nuls, leur mérite étant assujetti à la qualité des intervenants.

      Quant à Gina et Marie-Julie, et moi, on appartient surtout à la cour des grandes… filles 🙂

  6. Assaleck AG TITA 21 août 2011 à 10:55 #

    No comment. je partage entièrement cette analyse.Bravo à Lynne.

  7. Bobby Grégoire 22 août 2011 à 4:15 #

    @Mamanbooh Il ne s’agit pas d’une guerre. C’est seulement que le monde des communications et du journalisme est en pleine transformation!

    La multiplication des médias, la concentration de la presse et la démocratisation des plateformes de publication, rendent les frontières plus floues que jamais. C’est le fast-média, accessible à tous qui nous inonde d’informations qui sont à pertinence variable.

    Sur une note positive, les débats ne sont-ils pas un exercice qui prouve l’effervescence de ce monde? N’est-ce pas là une manifestation que nous sommes à la recherche de nouveaux paradigmes des communications pour nous adapter aux nouvelles réalités, nous adapter à de nouvelles possibilités?

    Personnellement je trouve cela encourageant!

    Bobby Grégoire

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