Le téléphone sonne. Au bout du fil, Émilie Mongrain des Éditions de l’Homme, avec qui j’ai travaillé au livre Kitchen Galerie déjà. Le genre de fille passionnée, drôle, efficace et cultivée comme j’en rencontre pas assez souvent, qui entend à rire et qui peut passer de Barbe-bleu (pour te menacer) à Proust (pour t’amadouer) dans le temps de le dire. Une tripeuse, quoi. Eh oui, petite déclaration d’affection pour commencer ce billet, parce qu’on entend pas assez parler de ces éditeurs généreux qui nous dorlotent — et, hum, nous brassent — pour en arriver à écrire LE livre de nos rêves.
Bref, ze téléphone sonne, comme dirait Claude François, pourquoi je parle de lui, allez savoir, il me purge, et voilà Émilie au bout du fil qui me dit : «T’es libre?». Pâques approche et, ah tiens, elle veut me faire un cadeau, toi. La chocolatière Geneviève Grandbois est à écrire un livre sur le chocolat et a besoin d’une plume. Si vous fréquentez le moindrement ce blogue, vous savez déjà que beaucoup de livres de cuisine sont écrits par des chefs, mais rédigés par des rédacteurs qui ne sont pas foutus de faire fondre du chocolat, mais vous faire fondre avec leurs mots, ça, avec un peu de chance et de talent, ils connaissent.
Libre, mets-en. Enfin, pas tant que ça, puisque la rédaction publicitaire m’occupe largement et que je pourrais en vivre, et pas mal mieux qu’en écrivant des livres, si on veut se dire les vraies affaires. Sauf que la petite fille en moi, le petit rat de bibliothèque qui pouvait passer ses samedis complets à la bibliothèque Reginald Dawson de ville Mont-Royal pendant que ses amis jouaient à la corde à danser, cette petite fille qui rêvait d’un jour voir son nom sur une petite carte dans le Cardex devenu son Saint-Graal, bref cette petite fille aujourd’hui grande remise régulièrement la publicité pour être fidèle à son rêve d’enfant. (Si, à ce moment-ci dans votre lecture, vous vous dites que mes phrases sont fichtrement longues et sans grande ponctuation, ben, je me paye un autre trip, figurez-vous. Parce que les auteurs se font toujours réviser par des maniaques de l’OLF et du Bon usage, qui vous collent des virgules selon la sacrosainte syntaxe et carburent aux diktats de l’Académie française. Ils doivent se réveiller la nuit pour haïr Proust, qui n’a jamais voulu être Immortel, on ne s’étonnera pas.)
Rencontre au 7e ciel
Quelques jours plus tard, je me retrouve à la Fabrique de Chocolats Geneviève Grandbois pour y rencontrer, bonheur, une autre fille allumée, chaleureuse, qui a le rire facile, la passion à fleur de peau et une écoute généreuse comme on en voit rarement. Grande, belle, racée, figure de proue d’une des marques les plus prestigieuses du Québec, Geneviève pourrait tellement être chiante et baveuse. Mais c’est tout le contraire: parfois zen, parfois inquiète, toujours intéressée par l’autre et l’autrement, prête à se remettre en question mais branchée sur ses convictions profondes, elle a la même générosité, gourmandise et folie que ses chocolats.
C’est le début d’une étonnante aventure qui nous verra partir en fou/folles pour explorer virtuellement et par avion la planète chocolat, afin de rapporter dans nos bagages/mots presque tout ce qu’on le sait sur le cacao : son histoire, sa culture, sa transformation, ses familles de goût d’une part ; ses harmonies, ses techniques, ses recettes d’autre part. Au détour, on jase aussi avec les chocolatiers qui l’ont inspirée — je pense ici à Enric Rovira que j’ai découvert aussi dans une hallucinante vidéo d’Anthony Bourdain ici ; et les chocolatiers qui veulent changer le monde, de Grenada Chocolate au Mast Brothers.
De chefs et de recettes
En cours de projet, des amis chefs à l’une ou l’autre se sont joints à notre aventure, dont plusieurs fidèles collaborateurs:
• Danny St Pierre du Restaurant Auguste,
• Éric Gonzalez de l’Auberge Saint-Gabriel,
• Marc-André Royal du bistro Le St-Urbain,
• Michelle Marek du Labo culinaire,
• Gabrielle Rivard-Hiller de la cabane à sucre Au pied de cochon,
• Marcella Marciano de Circus au Costa-Rica.
Chacun y conjugue le chocolat à sa façon, avec des pétoncles sautés, du lapin et… en dessert avec du boudin (parce que le sang de cochon, utilisé initialement par Danny, s’avère presque impossible à trouver, qui aurait cru. Not.) Pour moi, les grandes vedettes du livre demeurent les recettes de Geneviève qui, au début, hésitait presque à les partager. Parce que, quand les amis invitent Geneviève à une soirée, ils lui délèguent toujours le dessert qui sera nécessairement cacaoté. Pas question qu’elle se pointe avec un sorbet à la mangue, au risque de provoquer un cataclysme. Si bien que, pour elle, une tarte au chocolat, un mi-cuit ou une mousse de chocolat blanc semblaient presque de trop grandes évidences. Dieu merci, elle s’est laissée convaincre et, avec leur touche de cacao cru, de lait d’amande et de safran, ses recettes maison rendent le livre encore plus distinctif.
Des recettes maison souvent étonnantes, comme la Crème de sarrasin à la poire et aux éclats de cacao ou la Glace au chocolat, lait d’amande, noix de cajou et menthe… Des recettes à l’image d’une chocolatière qui est hyperglycémique (!) et fana d’alimentation crue, mais qui passait quand même ses week-ends à tester les biscuits et glaces du livre pour atteindre ce qu’elle appelle la «note parfaite». Je peux d’ailleurs vous confirmer que le lait d’amande tchai, qui a accompagné nos multiples entrevues baignées dans le chocolat noir croqué à volonté (sue me), c’est gé.ni.al. Mais pas dans le livre, par manque de place. Intéressés à le retrouver ici, dites-le moi dans les commentaires.
Déjà un prix…
Cette semaine, Passion chocolat : l’étonnante aventure du cacao, le livre qui a permis à trois filles de tripper à fond la caisse, et justifié des mois de sessions de travail qui ressemblaient presque plus à des dégustations gargantuesques de chocolat, d’alcool, de cafés et de thés déguisées, a été primé au Gourmand World Cookbook Awards, les « Oscars du livre de cuisine », comme l’un des meilleurs livres spécialisés au Canada en 2013. Il se mesurera aux meilleurs livres du monde, tous sujets confondus, à la finale tenue à Beijing ce printemps. J’ai déjà eu l’honneur d’être représentée en finale à ces grands prix, pour le livre «100 recettes pour toi mon coeur» (contre Michelle Obama, nous avons perdu toutes deux, lol). Le bonheur de savourer les meilleurs chocolats du monde, jour après jour, mot après mot, aurait suffi en soi. Ça, c’est la proverbiale cerise sur le gâteau, au chocolat on présume.
La chocolatière Geneviève Grandbois en action © Mathieu Dupuis Photographe
Psst…
Chose promise, chose due : je l’avais promis sur le blogue, vous trouverez donc ici la recette de Nutella du livre, qui se prépare en moins de 5 minutes. Décadent, bon sans bon sens, et si facile, que mon fils de 7 ans la réalise presque sans supervision. Vous allez vous régaler.
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